La verrerie de Biot

A travers cette rubrique, découvrez un savoir-faire spécifique d’une entreprise du patrimoine français avec la mise en avant : d'un geste, l’outil pour le réaliser et l’artisan qui l’exécute. Le geste, l'outil, l'acteur. 

En plus de 60 ans, les créations en verre bullé de cette célèbre manufacture ont coloré les tables de la Côte d’Azur et bien au-delà.  À la fois girondes et ravissantes, elles ont traversé les époques et les modes. À l’heure de célébrer les savoir-faire de la French Riviera, une visite à Biot tombait sous le sens.

Photo : Philippe Vaurès Santamaria

Faire d’un défaut une qualité. Telle est la quête d’Éloi Monod au sortir de la guerre. Venu à Biot pour l’excellence de ses productions de poterie vernissée, le céramiste ne peut réfréner son attirance pour la transparence et les imperfections du… verre. Il se met en tête d’en développer une version bullée.

Le procédé est déjà connu. Lalique, notamment, l’utilise, mais de façon artistique. Lui, le major de l’École de céramique de Sèvres, souhaite davantage maîtriser la technique pour produire des séries artisanales de qualité constante. Avec l’aide de deux verriers, il crée une machine, toujours en activité, permettant de saupoudrer finement et uniformément du carbonate de sodium enfermé entre deux couches de verre en fusion.

En 1956, la Verrerie de Biot est inaugurée. D’entrée, Éloi Monod choisit de l’ouvrir à la visite du grand public, préfigurant ainsi le tourisme industriel. Le festival de Cannes prend le relais. Et de quelle façon ! « Gregory Peck et Lauren Bacall sont nos premiers clients, Jacqueline Kennedy-Onassis suit… », explique Anne Lechaczynski, co-propriétaire actuelle de l’entreprise.

En pionniers de la reconversion dans l’artisanat, son père, cadre chez IBM, et sa mère, bibliothécaire, ont acquis la verrerie en 1973 avant de la développer. « Aujourd’hui, à côté des 300 clas­siques de la maison, des collaborations capsules animent l’offre. » Celles inspirées de voyages et de rencontres, en particulier avec les designers invités par la villa Noailles à l’occasion d’expositions évènements sur les métiers d’art. De quoi continuer à séduire. Anne-Sophie Pic, dernièrement, comme son grand-père avant elle ; Philippe Starck aussi, pour les arts de la table de Lily of the Valley, son dernier projet hôtelier à La Croix Valmer. Autant de signes d’un patrimoine bien vivant.

Le Geste : l'ébauchage

À La Verrerie de Biot, depuis des années, la même gestuelle donne au verre ses formes et, ce faisant, ses lettres de noblesse.

D’abord, cueillir le verre dans son four, à près de 1 120 °C, le rouler sur le marbre pour l’arrondir et le souffler légèrement. Puis le saupoudrer de carbonate de sodium et procéder au deuxième cueillage afin d’enfermer le composé chimique entre deux couches et permettre ainsi la création uniforme de petites bulles. Place alors à l’ébauchage. Une étape clef durant laquelle l’artisan donne au verre son galbe, à l’aide de formes en bois, appelées mailloches, et surtout de fers.

Tout en tournant constamment sa canne, le verrier ouvre ces compas, recouverts de cires d’abeille, au diamètre souhaité et les fait glisser sur la matière descendue à près de 800 °C pour dessiner ses contours, à la manière d’un tourneur en poterie, tirant au besoin dessus pour former ici un pied ou la pinçant là pour créer un bec à pichet. Une fois le verre fini, il est déposé dans une arche, un four de recuisson où il redescend lentement à température ambiante. Près de 18 heures plus tard, le voilà prêt à rejoindre les étagères du magasin.

L'outil : la palette 

Au moment de créer un pied, elle arme systématiquement la main du verrier. En plus de 3 500 ans de verrerie, l’outil n’a pas changé. Initialement en hêtre et aujourd’hui en bois fruitier, il se compose de deux pans qui s’ouvrent et se referment comme un livre grâce à des reliures en caoutchouc.

Sur l’un d’eux, une encoche assez large permet de glisser la jambe d’un verre ou d’un vase. En refermant le pan opposé, la masse de verre en fusion prend la forme d’un pied, entre volutes de fumée et odeurs de bois brûlé. D’où la nécessité d’entreposer les palettes dans un seau d’eau afin que leur humidité les empêche de se consumer au contact du verre. Autour de son banc, le verrier dispose en général de 2 à 3 palettes, plus ou moins usées et donc marquées de la forme à donner. Les plus vieilles ont sa préférence : elles permettent plus aisément de créer le pied souhaité. « C’est dans les vieux pots que l’on fait la meilleure soupe », non ?

L'acteur : le verrier 

Marc Berlie compte 45 ans de métier. Ce Biotois est entré à la verrerie à 18 ans et ne l’a jamais quittée depuis…

« Le verre, c’est magique ! », ne cesse de répéter le verrier. Dans son cas, la magie a opéré d’un coup. En ce jour de 1974 où il se décide à passer la porte de la manufacture de « son » village. « Beaucoup de mes camarades y travaillaient. » En moins de temps qu’il ne faut pour souffler un verre le gamin est emballé. À l’époque, 5 à 6 fours chauffent en permanence. Une équipe de 40 verriers œuvre en roulement. Dès 6h du matin, les travailleurs en place chantent pour se donner du cœur à l’ouvrage.

Tout le monde se réveille avec eux… « La meilleure école possible ! » Depuis, la radio a pris le relais. Pour le reste, rien n’a changé. Les procédés restent les mêmes. Avec le temps, Marc Berlie s’est juste un peu plus spécialisé. Les verres à pied ont sa faveur, quand il ne réalise pas des créations plus personnelles sur ses temps de loisirs. Comme ses maîtres avant lui, il transmet aussi. Notamment auprès de Clémence, une jeune verrière. La retraite ? Il ne l’envisage pas vraiment, concédant tout juste qu’il faut y penser. D’ici là, lui continue de se laisser porter par la magie de son métier.