Georges Blanc

 Dans cette rubrique, La Grivoise, nous passons une personnalité de l’univers de l’art de vivre au crible de quelques questions. Histoire de découvrir des facettes insoupçonnées de nos invités. La grivoise.

Depuis l’obtention d’une première étoile en 1929, le succès de cette table d’exception ne s’est jamais démenti.  Voilà maintenant 90 ans que cette maison n’a cessé d’être étoilée. Conversation informelle avec ce chef charismatique qui réussit la prouesse de faire venir 820 personnes quotidiennement à Vonnas dans ses différents établissements.

Texte : Leslie Gogois
Portrait : Oriana Fenwick

Ma contre-vérité (ce qu’on imagine de vous et qui n’est pas vrai) Pour les gens, j’ai souvent plus l’air d’être un restaurateur qu’un cuisinier, mais c’est faux ! Lorsque j’ai démarré, l’apprentissage se faisait directement dans les maisons sans passer par une école hôtelière. Or, pour ma part, je suis issu de la première génération sortie d’une école hôtelière ; c’est ce qui a forgé cette réputation de restaurateur qui m’a parfois joué des tours. J’ai eu du mal à m’imposer, il faut dire que la réussite génère une certaine forme de jalousie. J’aime cette maxime qui dit « Être jalousé, c’est exister. Ne pas exister rend jaloux ». Or, je suis un vrai cuisinier, qui aime être au milieu de son équipe. Ce matin encore, j’étais en pâtisserie ; hier soir, nous avons lancé notre nouvelle carte avec des plats décidés par mon chef et moi-même. Je déjeune et dîne tous les jours avec mon personnel, en cuisine.

Mon secret caché (une petite manie, un péché mignon…) J’ai constamment un petit carnet posé sur ma table de nuit. Dès que je ne dors pas, j’y note le fruit de mes pensées qui sont toujours en lien avec ma profession. J’ai, pour la cuisine, un engagement totalement passionné. D’ailleurs, ma devise le rappelle : « Sans passion, point d’élévation ». Seule la passion permet le dépassement, j’en suis intimement persuadé. J’ai beau avoir dépassé l’âge de la retraite, mon esprit est constamment en éveil. Je cherche à progresser chaque jour.

Mon plus grand amour dans la vie, c’est… La satisfaction de mes clients. Réussir à créer l’émotion auprès d’eux est ma plus belle récompense. Je ne suis pas sûr d’y arriver chaque jour à chaque table, mais avec mon équipe, nous voulons inlassablement ajouter une touche émotionnelle à une prestation de qualité.

Ce que je ne sais vraiment pas faire…   Prendre ma retraite ! Depuis que j’ai repris l’affaire familiale en 1968, je suis très peu parti en vacances. Et le meilleur moment a toujours été quand je revenais à mon travail. Ma passion est née lorsque je me suis mis à délivrer une cuisine personnelle autour des plus grands produits, rythmée par les saisons. Au départ, j’étais davantage dans le répertoire des mères cuisinières, ce n’est qu’ensuite que ma cuisine a évolué. Mes voisins étaient Alain Chapel, Paul Bocuse, nous avons toujours été dans une saine émulation, qui n’a fait que renforcer ma passion.

Si j’avais mené une autre vie…  J’ai failli mener une autre vie ! À 17 ans, j’ai appris à piloter un avion dans un aéroclub à Mâcon. C’est devenu une passion, je me souviens que je collectionnais les Aviation Magazine et rêvais de rentrer à l’École de l’Air de Salon de Provence ; mais j’ai été déclaré inapte car daltonien lors de la visite médicale. Je suis donc parti à l’école hôtelière de Thonon-les-Bains, d’où je suis sorti major de ma promotion. Aujourd’hui, il y a quelques clins d’œil autour de moi qui rappellent que je suis colonel de réserve citoyenne de l’armée de l’air : un Mirage 3 dans ma propriété, ainsi qu’une photo de moi avec mon blouson de pilote. Je n’ai pour autant aucun regret, je mène une vie passionnante. Et si j’avais été pilote de chasse, j’aurais dû prendre ma retraite il y a 30 ans !

La question bonus : que vous inspire le blanc en cuisine ?  Le blanc est la couleur de la restauration, de la gastronomie… Les tabliers, les vestes de cuisiniers, le nappage… Il y a du blanc partout dans mon restaurant, car c’est une valeur sûre, une couleur inspirante pour moi. Je me souviens d’un moment marquant : en 1959, lorsque je travaillais au Grand Hôtel de Divonne-les-Bains, nous avions fait une photo de toute la brigade en blanc devant l’hôtel. Depuis, je perpétue cette tradition avec ma brigade, je leur offre cette photo chaque année. En fait, je mène une vie en blanc mais haute en couleurs !