La céramique par Maison Matisse

Face à face entre l'artisan et son produit...

À l’initiative des héritiers du peintre, une nouvelle vie s’offre à son œuvre. Des designers contemporains sont invités à réaliser des collections inspirées de l’univers de Matisse. À commencer par La Musique et ses assiettes, cruche, plats… fraîchement déballés.

Photo : archives Henri Matisse/Succession. H. Matisse pour l’œuvre de l’artiste, Christophe Boulze, Alice Cuvelier, Jérôme Galland, Hayon Studio, Carlo Lavatori, Maison Matisse, Asger Mortensen et Studio Bouroullec.

Non, non, toujours non… Depuis des années, les héritiers de Matisse refusaient la plupart des projets de produits dérivés présentés. Pas assez audacieux. Encore moins exigeants. Leur abondance exprimait néanmoins un intérêt patent pour l’œuvre de l’artiste. Que faire du coup de cet héritage ? Comment prolonger le regard de Matisse d’une façon inédite et nouvelle ? À ces questions de plus en plus pressantes, les arrière-petits-enfants du peintre-sculpteur finissent par répondre création contemporaine. Pourquoi ne pas demander à des designers émergents ou confirmés de s’imprégner de l’univers de Matisse pour en donner leurs interprétations et ainsi soutenir sa vision poétique et singulière ? L’idée séduit la famille. Jean-Matthieu Matisse en particulier.

 

Décision est donc prise de créer Maison Matisse. Reste à la « meubler ». Pour l’aider dans sa tâche, le quarantenaire en charge de la gestion des collections fait appel à Eliana di Modica. Passionnée de design et d’art, l’ancienne directrice des achats, de l’Editing et du merchandising chez Zadig & Voltaire analyse tout Matisse. Elle en retient la nécessité de partager une esthétique des formes et des couleurs tout en équilibre.

L’optimisme, l’exigence et l’ouverture au monde qui caractérisent l’artiste doivent également servir de fil rouge. Mais sur quel support pour commencer ? « La céramique s’est très vite imposée, confie la directrice générale de la maison. Au-delà de l’attachement que lui portait le peintre-sculpteur, elle s’inscrit pleinement dans notre souhait de souligner le travail de la main et de transmettre cette émotion. ».

En octobre 2019, Maison Matisse inaugure une première collection de vases : 1869. À l’occasion des 150 ans de la naissance de l’artiste, des séries limitées inspirées de son univers et signées… Alessandro Mendini, Jaime Hayon et Ronan & Erwan Bouroullec. Rien que ça. « Il nous paraissait bienvenu que des maîtres du design rendent hommage à un maître de la peinture. » Une façon de rester en famille. Tout comme le souhait de confier la réalisation de ces pièces aux artisans de confiance des designers engagés. Succès immédiat. De quoi voir d’un bon œil la mise en place fin mars d’une toute nouvelle collection : La Musique. Permanente cette fois, celle-ci s’appuie sur l’œuvre du même nom datant de 1939. « Cette discipline a toujours joué un rôle central dans la vie de Matisse. Sans parler de la joie de vivre qu’elle porte en elle », justifie Eliana di Modica. Mieux, le tableau inspire profondément Marta Bakowski. « L’utilisation de formes très épurées laisse s’exprimer pleinement les couleurs primaires utilisées », explique la designer.

 

C’est elle qui a été choisie pour développer les assiettes, bouteilles, cruche et plats de cette seconde production. « Le projet de rêve ! Maison Matisse inaugure une approche qui bannit les frontières dressées entre design, artisanat et art. » Pendant des semaines, Marta Bakowski étudie le langage de l’artiste, avant de décomposer sa toile pour en retenir des éléments clefs : les philodendrons, les courbes des silhouettes des femmes, les guitares… Autant de sujets qu’elle travaille séparément sur papier, puis peu à peu sur des maquettes en bois. Le support, lui aussi, est traité à part. « Il devait parler du tableau sans interférer avec le décor arrêté. » De fait, le choix se porte sur des formes simples et généreuses. Les couleurs, enfin, font également l’objet d’une étude dédiée, afin de définir la bonne teinte pour chacune des iconographies retenues. « Rechercher des formes essentielles, viser leur équilibre… Ce travail de synthétisation s’est révélé assez proche du processus créatif de Matisse. » Et tout aussi long. Le développement dure plus d’un an et demi, tant le niveau d’exigences est élevé. Notamment à l’heure de sélectionner le bon artisan. Celui capable de restituer les couleurs choisies, de respecter l’aspect mat voulu, tout en laissant la main de l’homme transparaître. Un défi. À relever à nouveau d’ici début juillet, pour le lancement d’une seconde collection permanente de mobilier, de papier peint…, basée cette fois sur l’Intérieur aux aubergines (1911). Tout un programme…