La manufacture des Emaux de Longwy

A travers cette rubrique, découvrez un savoir-faire spécifique d’une entreprise du patrimoine français avec la mise en avant : d'un geste, l’outil pour le réaliser et l’artisan qui l’exécute. Le geste, l'outil, l'acteur.

Jadis en grandes difficultés, l’entreprise renoue avec le succès. À l’origine de ce renouveau, le plébiscite de designers et d’artistes de renom pour un savoir-faire rare. Explications.

Photo : Philippe Vaurès Santamaria

« Un savoir-faire unique. » Martin Pietri est catégorique. « Sa gamme de couleurs, sa technique du cloisonné, son niveau de détails et l’intégration en interne de tous les métiers requis font des Émaux de Longwy une exception française. » Et ce depuis 1798, à la faveur de quelques clients de renom dont Napoléon 1er. De quoi susciter l’intérêt de cet ancien fonctionnaire du ministère de l’Économie et des Finances. Sa famille maternelle descend d’une grande lignée d’ébénistes, les Jacob-Desmalter, fournisseurs entre autres de… Bonaparte.

Au-delà du clin d’œil, cette manufacture répond à la quête du groupe Emblem qu’il dirige désormais : préserver les savoir-faire artisanaux d’exception des petites PME. Comment ? En les fédérant, pour mutualiser certains coûts, lisser les baisses d’activités saisonnières et offrir une gamme de produits davantage à même de séduire les professionnels de la décoration par sa largesse. En 2015, les Émaux de Longwy sont donc rachetés pour rejoindre le fabricant de mobilier Taillardat acquis la même année. Aujourd’hui, la manufacture s’appuie sur un fond de collections existantes, le développement de rééditions et des collaborations avec des designers et des artistes reconnus (José Lévy, Pierre-Marie, India Mahdavi, Françoise Pétrovitch, Pierre Gonalons…) autour de séries très limitées. L’objectif visé ? Créer encore plus de désirabilité. Dans le mille !

Le geste : la presse

L’opération prépare le biscuit à son émaillage en apposant sur la pièce les contours de son décor. Un éloge de la délicatesse. 

À ce stade, la faïence a déjà connu plusieurs vies. Son modèle en plasticine a permis la création d’un moule mère dont des moules de production, cette fois, ont été tirés. La barbotine a été élaborée à partir de terres de Limoges, puis étalonnée pour vérifier sa fluidité avant d’être coulée. Après rachevage, un cycle de cuisson long de deux jours, à une température maximale de 1 040 °C, a vu naître le biscuit… L’impression peut alors commencer. Dans une salle à part, deux personnes s’affairent. L’une œuvre à la sérigraphie pour imprimer sur papier de soie les contours des décors à transférer. L’autre positionne à la main, le plus délicatement du monde, cette feuille sur la pièce à créer. Aucune erreur n’est de mise. Le papier parfaitement apposé est alors tamponné à l’aide d’un bâton spécifique puis légèrement humidifié. À l’éponge, il s’efface en un clin d’œil pour ne laisser apparaître que le cloisonné de l’émaillage, ainsi appelé pour sa capacité à retenir chaque couleur entre ses traits. Magique, à l’image d’une décalcomanie.

L'outil : la seringue 

 

Inattendu dans cet univers, l’objet est pourtant d’usage à l’heure de poser l’émail, au côté d’autres ustensiles… 

Atre salle, même concentration. Les décoratrices s’activent. La plupart tiennent au bout de leurs doigts une grosse seringue à l’aiguille fine qu’elles actionnent par simple pression sur une pédale. Aussitôt, sur l’emplacement visé, l’outil libère une fine quantité d’un mélange d’émail en poudre et de colle liquide. Sa tonalité mate indique en quelques secondes qu’il est sec. L’opératrice reprend alors sa tâche sans risque de salissure. Et ainsi de suite, couleur par couleur, canevas à l’appui. À y regarder de plus près, dans cet atelier, la seringue n’a pas le monopole. En fonction du niveau de détails souhaité, d’autres lui préfèrent une hampe en bambou ou en ferraille, voire plus occasionnellement un pinceau en poils de martre. C’est d’ailleurs ce dernier qui a la faveur de la personne en charge de l’or et de la platine. Deux couleurs traitées à part, à 650 °C, après une première cuisson du reste de l’émail à 750 °C. Soit en tout, du biscuit à son décor, trois passages minimum au four, pour des pièces demandant parfois 40 heures de pose d’émail.  Un travail de fourmi

L'acteur : le laborantin  

Depuis des années, Assim Bouguerfa élabore les émaux utilisés en production ; et ce, dans un dialogue constant avec les designers et artistes intervenants.

« Les jours suivent et ne se ressemblent pas. » Voilà ce qui a séduit cet étudiant en mécanique, engagé à la Manufacture des Émaux de Longwy dès 1985. Là, après une première expérience aux terres et au four, le jeune homme découvre un autre métier : celui de laborantin. L’activité consiste alors essentiellement à alimenter à l’année le stock d’émaux et à créer de nouvelles tonalités. Une tâche ardue, tant ce mélange de silice, de potasse, de soude… et d’oxydes colorants, cuit et broyé sur place, change totalement de teinte à la cuisson sur biscuit. Des essais s’imposent. En particulier dans le cadre des collaborations désormais développées avec les designers. Eux livrent une maquette avec ses références Pantone, lui doit identifier les couleurs du catalogue qui correspondent, voire en créer des supplémentaires. Un dialogue s’en suit. Aujourd’hui, la manufacture compte plus de 1 000 références d’émaux. Une autre richesse. Une de plus…