Le Conservatoire Européen des Echantillons de Sols

L’essence par les sens, voilà le pitch de cette rubrique. Avec l’envie de vous faire découvrir des lieux inspirants à travers la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher et le goût. Sens. 

En périphérie d’Orléans, le site INRAE compte une pépite. Un bâtiment récemment créé pour accueillir, préparer, gérer et stocker les échantillons de sols issus de différents programmes français et européens. Cerise sur le gâteau, il est en pisé. Voyage au centre des terres...

Photo : Philippe Vaurès Santamaria

« Et si nous construisions un bâtiment en terre crue ? Lorsque l’idée est lancée, personne n’y croit vraiment », relate Antonio Bispo, directeur de l’unité de service InfoSol. Pourtant, à y regarder de plus près, cette proposition n’est pas si saugrenue. S’agissant de créer un nouveau lieu capable d’abriter des échantillons de... sols, elle fait sens. Mieux, le pisé est reconnu pour ses propriétés d’inertie thermique et de régulation de l’hydrométrie.

Il restitue son humidité naturelle en période de canicule et, à l’inverse, l’absorbe par temps de pluie. Petit à petit, les autorités compétentes sont convaincues. Décision est donc prise d’aménager sur le site INRAE, ce Conservatoire Européen des Échantillons de Sols (CEES) d’un nouveau genre. Le chantier s’avère plus complexe que prévu : les terres in situ manquent de sable et de structure. Elles ne peuvent en l’état se prêter à la technique du pisé.

Heureusement, les argiles des carrières de Montargis apportent leur liant pour réaliser des murs entiers de terre crue à partir des sols excavés sur place. En 2014, le CEES dévoile ses façades par strates. Éblouissant. Tout comme le cœur du bâtiment. Une salle de 370 m2, aux 4 kilomètres linéaires d’étagères conservant plus de 75 t d’échantillons de sols de toute la France et d’Europe, à environ 19 °C et 50 % de taux d’humidité.

Le fruit, essentiellement, d’une première campagne lancée en 2000, suivie d’une seconde à partir de 2016. Baptisé RMQS, le programme repose sur un maillage de la France en plus de 2 200 sites. Des carrés de 16 km de côté, où sont prélevés, sur 1 m de profondeur, 60 à 120 kg de sols avant envoi au laboratoire du CEES et traitement pour conservation et analyses. À cela s’ajoutent des collections d’échantillons issus de 50 sites européens et, peut-être demain, celles de INRAE Versailles, dont quelques pépites datant des années 1910... Un trésor et une mine d’informations. Car le CEES veille à « faire parler ses échantillons ». L’ensemble des analyses effectuées à l’extérieur sont centralisées pour être diffusées en open data. Au niveau national et régional, elles renseignent sur la fertilité, les stocks de carbone organique, la biodiversité microbienne..., pour demain assurer une meilleure gestion des sols. Un enjeu majeur.

LE TOUCHER

L’envie de passer la main sur ces murs de pisé gagne vite. Leur aspect mat et stratifié, leur texture granuleuse... interpellent. Mais comment sont-ils fabriqués ? Rien de plus simple. À l’intérieur d’immenses coffrages, la terre, légèrement humide, est déversée puis compactée, couche par couche, jusqu’à la hauteur souhaitée. Voilà tout. Quelques mesures s’imposent tout de même : les monter sur des allèges en béton afin d’éviter tout contact direct avec le sol, naturellement humide, et éviter de trop les toucher compte tenu de leur porosité. Difficile de résister... La salle du conservatoire calme ces ardeurs, à coups d’armoires métalliques gris souris plus froides. Un contraste saisissant.

LA VUE

Çà et là, le regard suit les lignes irrégulières que dessinent les couches successives des murs de pisé, auxquelles répondent une architecture du toit nettement plus rigoureuse et des éclairs de lumière saillants. Il se pose aussi sur les dizaines d’espèces d’arbres plantés tout au long des 40 hectares du site. Des études de cas menés par les unités de recherches forestières installées ici, et autant de respirations.

L’ODORAT

D’entrée, le bâtiment le sollicite. Ses murs de terre crue dégagent des notes à la fois fraîches et chaudes. Même constat au laboratoire. Après réception et contrôles, les échantillons sont placés au froid à 4 °C durant 3 à 4 jours afin de ralentir leur activité, avant d’être séchés une dizaine de journées durant, à 30 °C, dans une atmosphère humide à 30 %. Ils sont ensuite préparés et subdivisés en vue d’être stockés au conservatoire pour une partie et envoyés dans des laboratoires d’analyse pour l’autre. À la faveur de ces différentes opérations, des parfums de tourbe, d’humus... embaument l’espace.

L’OUÏE

Que la ville semble loin au milieu des arbres environnants ! Pas un bruit disgracieux ou presque. Seuls les hottes aspirantes du laboratoire et, à l’occasion, les exercices de tir du camp militaire voisin perturbent le gazouillis des oiseaux et le souffle du vent dans les branches. Reposant.