Marsan par Hélène Darroze
Texte : Leslie Gogois
Photo : Philippe Vaurès Santamaria
Chose rare dans un même lieu, une réelle dichotomie a été pensée entre les deux étages de ce restaurant : en bas, des attaches littérales au Sud-Ouest, région d’origine d’Hélène Darroze, notamment incarnées par ce mur recouvert d’un ancien plan de Mont-de-Marsan et de tuiles de verre couleur armagnac, ou cette sublime table de partage réalisée sur mesure par un artisan de Biarritz avec des lames de chêne de 6 mètres de long.
Ici, l’ambiance est volontairement plus sombre qu’à l’étage. Le mur du fond est orné d’une fresque représentant une forêt landaise de l’artiste basque Zigor, traduisant une ambiance de bar à vin et revendiquant un côté rustique et brut.
Après avoir emprunté l’escalier, les clients découvrent des tonalités claires, douces, lumineuses. La moquette couleur taupe est ornée de motifs rappelant les nuages, afin d’accompagner les convives dans cette atmosphère « flottante ». Comme s’ils se retrouvaient au-dessus des nuages, le temps d’une expérience culinaire de haut vol.
« Marsan est la concrétisation de beaucoup d’années de rêve » résume Hélène Darroze. Sûrement son projet le plus personnel, celui où elle dévoile comme jamais une part de sa vie et de son intimité. En témoigne ce cabinet de curiosités rempli de souvenirs. « J’assume ce que je suis à travers des objets rappelant mes voyages, mon passé, on y trouve à la fois des coqs en argent de l’auberge familiale tenue par mes grands-parents, des céramiques fabriquées par mes filles, des photos de certains de mes collaborateurs… » Avec cette foule de détails si justes et bien pensés, ce restaurant a une âme.
Hélène Darroze, la cheffe « Au début d’une carrière, il est fréquent de vouloir s’affranchir de ses racines ; mais au fil du temps, on y revient. En devenant parent, ce sentiment est encore plus fort. Mes filles m’ont fait prendre conscience des valeurs de la transmission, de l’éducation. Avec Marsan, je sens que c’est la dernière fois que je serai aussi personnelle dans un projet, que je donnerai autant de moi dans une histoire. Comme si Marsan était une synthèse de tout ce que j’ai appris et que j’aime. Patrice était la personne idéale pour ce projet : nous partageons les mêmes racines, il a donc su comprendre mieux qu’un autre comment insuffler la rusticité et l’authenticité des Landes, tout en conservant cette élégance parisienne. Dans le cahier des charges, je lui ai demandé de concevoir un lieu empreint de féminité. Une féminité que je me dois de revendiquer, sinon cela n’aurait pas de sens. Le restaurant, avant les travaux, était très sombre, j’avais envie de clair, que l’œil se pose sur un ensemble harmonieux. Je trouve qu’on ressent une grande sérénité, du calme et de l’apaisement quand on arrive ici. »
Patrice Gardera, l’architecte « Avec Hélène, notre collaboration est fondée sur la confiance. Nous avons beaucoup parlé, échangé ; elle me nourrissait constamment des références qu’elle appréciait, beaucoup d’objets en bois clair, des choses très éthérées, pures, aériennes… Ce qui a donné naissance au choix de ces teintes claires, comme le bardage en chêne qui démarre dès le rez-de-chaussée et continue dans l’escalier, ces repose-sacs en forme de rondin de bois légèrement rosé et ceints d’une tige en laiton, ou encore des éclairages LED venant de chez Flos et apportant autant de chaleur visuelle que des halogènes. Une de nos principales contraintes fut d’intégrer ce noyau au centre du restaurant qui abrite une cage d’escalier et faisait rentrer peu de lumière naturelle. Nous l’avons travaillé avec des formes douces, arrondies, puis il a été recouvert d’un enduit décoratif intégrant de la nacre, ce qui lui apporte un effet brillant, sensoriel rappelant l’intérieur d’une coquille d’huître. De petits écrins en noyer ont aussi été intégrés dans ce mur, en tant que dessertes, afin que ce “bloc” devienne partie prenante de la décoration ».
LA VUE
L’enjeu visuel : faire rentrer la lumière en dépit d’un plafond assez bas pour rendre l’espace frais et lumineux. D’où des choix intemporels, feutrés et élégants, axés sur des tons clairs. Pour que le décor s’efface (presque) pour laisser parler l’assiette.
LE TOUCHER
Ici, un toucher orienté vers des matières brutes : des tables recouvertes de plateaux en quartz fabriqués par un marbrier de Saint-Jean de Luz, du cuir grainé en provenance d’une tannerie d’Espelette pour orner les chaises, des panneaux de béton moulé sur les murs, des céramiques d’Ema Pradère, autant de références à un monde assez rugueux, rappelant l’univers du Pays basque.
L'ODORAT
L’odeur du bois, omniprésente à l’ouverture, s’estompe petit à petit. En dehors de ce matériau naturellement odorant, aucune identité olfactive n’a été travaillée pour le moment… Mais cela pourrait bien changer. La cuisine ouverte fut, quant à elle, une vraie contrainte technique. « Les flux d’air ont dû être pensés pour éviter que les odeurs de cuisine ne viennent perturber la salle » décrypte Patrice Gardera.
L'OUÏE
L’acoustique, déterminante dans un restaurant, est assurée par un habile équilibre entre des matériaux réfléchissants compensés par des matériaux absorbants, tels que la moquette, les voilages, le rainurage des panneaux en béton qui ont tendance à atténuer les sons. D’autant que le fait d’opter pour des tables en quartz, sans nappe, pouvait faire peur. Après avoir hésité à mettre des sets de table, le choix a été pris de laisser les tables à nu et de former les serveurs à poser délicatement la vaisselle.
LE GOÛT
« Ici, finalement, le goût est sollicité en dernier, après la découverte du lieu. À nous de faire en sorte que ce qui se passe dans l’assiette soit le plus marquant de l’expérience vécue par nos clients », conclut Hélène Darroze dans un sourire. D’où le choix d’une décoration douce et discrète qui laisse une place de choix à la saveur des plats.